image O-jigi hanko ou l’art de montrer sa déférence en signant

Article original de Liza Maronese

J’écoutais une émission où Richard Colasse, auteur prolifique sur le Japon, était l’invité. A un moment donné, il mentionne des hanko penchés sur les ringi-sho. Ayant travaillé dans le web au Japon, les ringi-sho étaient digitaux et ne se laissaient pas aller à des acrobaties scripturales. Ma curiosité était donc piquée. Enquête enclenchée.

Commençons par le début: c’est quoi un ringi-sho?

Pour résumer (et à la manière d’une recette de cuisine) un ringi-sho c’est:

  • un document officiel
  • papier ou digital
  • qui met par écrit une proposition nouvelle
  • devant être signée par sceau (hanko) par un nombre de personnes
  • afin que la proposition ait une chance de se matérialiser
  • ajoutez-y une pincée de courtoisie

Tant que le document n’est pas signé par toutes les personnes concernées (cette notion est parfois sujette à débat selon la vision occidentale) la proposition doit être amendée pour déboucher, un jour, sur une mise en action de ses principes…

Maintenant que l’on a compris l’utilité du ringi-sho, observez l’apposition des sceaux ci-dessous. N’y a t-il pas comme une légère houle qui fait pencher les tampons situés à droite du premier sceau?

O-jigi hanko; mais penchez-moi ce sceau, Kachō* !

*kachō = chef de service

Si vous connaissez bien les Japonais, un seul sceau apposé de travers ne saurait être le fruit du hasard ou d’une négligence. Alors s’il y en a 4 qui penchent, Scully, Mulder, nous avons un nouveau mystère mystérieux à élucider.

Le terme o-jigi est utilisé pour parler de l’inclinaison du buste lors des salutations japonaises. Plus la rencontre est formelle et notre position relative « basse », plus l’o-jigi sera, lui aussi, au ras du sol.

Une des choses les plus dures à appréhender lorsque l’on n’est pas né/e Japonais/e est le fait que les relations interpersonnelles (principalement au travail) sont en permanence auréolées d’un positionnement hiérarchique invisible aux non-initiés, et lourd de conséquence. Les réflexions suivantes se bousculent dans la tête des Japonais à chaque interaction sociale:

  • Comment je me situe vis à vis de mon/mes interlocuteur(s) ?
  • Comment je me situe au sein de mon propre groupe ?
  • Comment mon groupe se situe par rapport au groupe d’en face?
  • Quelle place j’occupe dans la société (ex: suis-je de sexe féminin ou masculin) ?
  • Comment traduire cette position en respectant les codes établis (humilité, déférence, courtoisie)?

Le o-jigi hanko est l’illustration parfaite du résultat final de tous ces questionnements. Et comme IRL (In Real Life), plus notre position hiérarchique est basse, plus on s’inclinera sur le ringi-sho. C’était déjà le cas sur papier, et c’était assez simple: il suffisait de pencher son sceau d’un bref geste de la main. Mais impossible sur écran. Depuis la pandémie du COVID et la démocratisation de la numérisation de nombreuses pratiques courantes, des entreprises ont développé des possibilités de hanko électroniques penchés afin d’avoir la possibilité de signifier la même déférence que sur papier.

Vous ne verrez plus jamais ces oscillations rouges de la même manière désormais.

Et en France ?

Quand on travaille dans le domaine de l’interculturalité, on est amené/e à réfléchir à ses propres acquis culturels. C’est ce que je vous propose ici avec un brin d’humour.

En France, la notion de positionnement hiérarchique dans la signature est moins importante que la maîtrise de l’art de signer, tel un Zorro des temps modernes. Les non-Français s’amusent de ces signatures à mi-chemin entre gribouillage et œuvre d’art auto-proclamée. Ce qui compte en France, c’est la performance: assurance et prestesse du geste font plus que force ni que rage, ni que positionnement hiérarchique (merci d’accepter cette citation en guise de conclusion).