image Toda-san, sociétaire japonais de Railcoop

Article original de Liza Maronese

Comme beaucoup de Français confinés, semi-confinés (on ne sait plus vraiment), ma consommation télévisuelle a augmenté depuis mars de l’an dernier. Il y a quelques mois de cela, j’assistais à une émission présentée par Elise Lucet, quand apparaissent des images de rails abandonnés, de territoires français en mal de trains, de quête transeuropéenne à la recherche de wagons à remettre en service, et un commentaire, banal, furtif :

« Nous avons même un sociétaire japonais. »

Difficile de résister à l’appel. Pas sûre que d’autres se soient attardés sur cette fraction de seconde tant il y avait à voir sur les avancées de Railcoop, la première coopérative ferroviaire française.

Par l’entremise de cette dernière, le 2 mars dernier, rendez-vous est pris avec Toda-san, le fameux sociétaire japonais féru de trains, via Zoom. J’ai des questions à lui poser. Pourquoi diantre (oui, diantre) un Japonais habitant Tokyo a-t-il décidé de devenir sociétaire d’une coopérative ferroviaire qui a pour ambition de faire revivre la ligne de chemin de fer Lyon-Bordeaux ?

Skype allumé. Mode keigo enclenché… Ready, set, go!

  • Toda-sama, konnichiwa.

Première question, comment avez-vous entendu parler du projet Railcoop ?

J’ai souvent rêvé d’un système ferroviaire coopératif, mais je ne me faisais que peu d’illusions sur sa mise en œuvre au Japon. Un article a été publié, en japonais, sur l’initiative Locomore en Allemagne, initiative qui se basait sur le crowdfunding pour remettre en service des trains (indépendants de la Deutsch Bahn). J’ai trouvé l’idée super et j’ai voulu y participer mais il était déjà trop tard. Par la suite, j’ai entendu parler de l’initiative Railcoop. Cette fois-ci, je n’ai pas laissé passer l’occasion et me voici donc sociétaire d’une coopérative française.

Au fond, je ne suis pas si surprise qu’un Japonais participe à un projet ferroviaire, même à des milliers de km. Le train est particulièrement apprécié au Japon. Pourquoi selon vous ?

Le train fait partie de l’imaginaire des Japonais pour des raisons, avant tout, pratiques. On l’utilise quotidiennement, pour aller au travail, à l’école, entre villes voisines. La ponctualité en fait le transport idéal.

Pour les trajets plus longs, le fait de pouvoir admirer les paysages des régions parcourues est un avantage par rapport à l’avion (ndlr : par exemple, le Osaka-Tokyo permet d’apercevoir le mont Fuji par beau temps).

Et puis, au Japon, il y a une vraie culture de gares. Prenez les eki-ben (ndlr : bentôs de gare) par exemple ; ces plateaux déjeuners sont ancrés dans la mémoire affective des Japonais.

Une initiative Railcoop au Japon, ça vous paraît plausible ?

Comme je vous le disais, il me semble peu probable de voir arriver une initiative comme celle de Railcoop pour réhabiliter des lignes tombées en désuétude au Japon. En revanche, il existe des levées de fonds via des plateformes de crowdfunding pour préserver des anciens wagons inusités ou bien acheter de nouveaux wagons.

Le projet de Railcoop est de désenclaver des zones mal desservies par le train, existe-t-il de telles zones au Japon, et si oui pourquoi une initiative comme Railcoop vous semble impossible ?

La population japonaise est en baisse, et principalement dans les zones montagneuses (nairiku), il y a donc très peu de passagers potentiels. Historiquement, ces zones n’étaient pas très bien reliées par le réseau ferré.  Les villes donnant sur mer sont favorisées : comme Tokyo, Yokohama, Nagoya, Osaka, Kobe, Hiroshima, Fukuoka.

A part de nouvelles lignes Maglev (trains à sustentation magnétique) ou Shinkansen (trains à grande vitesse) sur les axes déjà bien desservis, il n’y a très peu de projets de construction de nouvelles lignes dans les zones enclavées (ndlr : pour Railcoop, la ligne de chemin de fer existait déjà mais avait été peu à peu abandonnée sur certains tronçons).

Les trains japonais sont toujours portés en exemple pour leur ponctualité et leur propreté par les Français qui critiquent beaucoup leurs propres trains. Parlez-nous de votre ressenti. Un œil neuf nous fera peut-être voir les bons côtés des trains français ?

Quand je suis venu en France, je me suis déplacé à Nancy, à Marseille…

Ce qui est très pratique en France c’est que les lignes TGV ne sont pas déconnectées des autres lignes (moyennes, basses vitesses), du coup, il n’y pas besoin de changer de réseaux, ou disons de gare, quand on passe d’un train à l’autre.

Evidemment, c’est ce scindement strict entre lignes à grande vitesse et moins grande vitesse qui fait qu’au Japon, les trains sont plus ponctuels qu’en France. On ne peut pas tout avoir !

Ce que j’apprécie particulièrement dans les trains français, c’est le wagon-bar qui n’existe pas au Japon. Je trouve qu’il apporte un côté convivial.

La compagnie ferroviaire JR (Japan Railways) est devenue connue des touristes français grâce au JR Pass : serait-ce le pendant de la SNCF au Japon ?

Pas vraiment, autrefois JR était une seule et même entité, détenue par l’état. Aujourd’hui bien que portant apparemment le même nom, chaque réseau JR dépend d’une entité juridique différente indépendante : JR East, JR West, JR Central, JR Kyushu, JR Shikoku, JR Hokkaido…Il existe également des compagnies ferroviaires historiquement indépendantes : Kintetsu, Keihan, Hankyu, etc. Les lignes et trains ont toujours été gérées par différents groupes au Japon.

Être sociétaire d’une coopérative française sans parler français…ça ne doit pas être si facile ?

Avec Railcoop, on échange principalement en anglais. Ma première fois en France, quand je suis allé à Nancy, j’ai trouvé que les Français parlaient beaucoup plus anglais que ce que j’en avais entendu. Après, je me suis dit que si j’avais pu leur parler en français ça aurait été apprécié. Depuis, j’essaye toujours de commencer par un « bonjour » dans mes échanges avec les Français.  

Qu’est ce qui ferait que Railcoop devienne un succès ?

Cette initiative offre la possibilité de sortir de la centralisation, où tout passe par Paris, et remettre en jeu l’oligopole de la SNCF. Si Railcoop réussit son pari, il y aura des retombées économiques pour les zones concernées. Et pourquoi pas s’inspirer des gares rurales japonaises qui attirent les touristes avec des chefs de gare « chat » ou « lapin ». Les personnes font fait le déplacement seulement pour les voir !

J’aimerais aussi que Railcoop s’inspire de Locomore dans son offre : l’entreprise crowdfundée allemande a profité de ce nouvel espace de rencontres pour créer des liens entre usagers en proposant des jeux de sociétés et des rapprochements entre personnes qui partagent le même hobby : la photo, le sport, les tricots de noël. Le succès serait que ces trains, déjà à forte visée humaine, deviennent un vrai vecteur de lien social.

Autre sujet : le train de nuit fait un énorme come-back en Europe pour des raisons écologiques affichées, est-ce le cas au Japon ?

Pas du tout, la conscience écologique n’est pas très prononcée chez mes concitoyens japonais. Le côté pratique prime sur le côté écologique. Des bus de nuit, assez confortables, desservent très bien les villes du Japon. Il n’y pas vraiment besoin de les remplacer. Il existe toutefois des lignes de trains de nuit à visée touristique (attention, très chers !) –- Spoiler un article dans Koko 5 y sera consacré.

Dans l’ensemble, les trains-expériences sont en augmentation au Japon.

Et pour finir, qu’est ce qui rapproche la France du Japon, deux pays qui ont pourtant des cultures bien différentes ?

Par rapport à des pays plus « tournés vers l’avenir », comme les Etats-Unis ou Singapour, il me semble que la France et le Japon ont ceci en commun qu’ils portent une grande importance à leur histoire, leur héritage culturel.

Toda-sama, kyô interview sasete itadaite arigatô gozaimashita!

(Merci Toda-san de vous être laissé interviewé aujourd’hui !)

Ce fut un bel échange interculturel qui je l’espère sera le début d’une série d’interviews sur les questions France/Japon. Je remercie infiniment Toda-san de m’avoir fait parvenir en complément de notre interview, un récapitulatif très étoffé des points abordés.