image Petit cours de rédaction japonaise

Article original de Liza Maronese

Je rédige, tu rédiges, il rédige…

C’est en prêtant attention à mon fil Linkedin, l’autre jour, que je me suis rappelée que, décidément la manière de rédiger japonaise et française suivent des règles bien différentes.  Quelques jours plus tard, je discutais avec une amie professeure de la section anglophone d’un lycée français. Elle me disait que ses élèves (pourtant parfaitement bilingues en anglais) s’obstinaient à sauter des lignes entre les paragraphes. Surprise de sa surprise, je lui avouais, penaude, que moi aussi je sautais des lignes entre mes paragraphes, même en anglais. Son regard inquisiteur semblait me dire : mais voyons Michel, en anglais, on ne saute pas de ligne aussi simplement ! Choc culturel inattendu.

En tout cas, le sujet de mon post était tout trouvé.  Ces règles rédactionnelles que nos professeurs passent des années à nous inculquer ne seraient donc pas universelles ? Oui, la nouvelle fait mal, mais il faut pouvoir s’y confronter.

Voici un aperçu furtif de deux règles rédactionnelles japonaises.

De l’espace bon dieu ! de l’espace !

J’ai publié récemment quelques posts en japonais sur les réseaux sociaux et j’ai omis cette chose essentielle, que je connais pourtant désormais. L’a-é-ra-tion ! Ah, les habitudes…

Première semaine dans une entreprise japonaise :

Liza, ton « nippô* » il est trop tassé. Il faut aérer, sauter des lignes, mettre des points ou des « hoshi-jirushi »★ devant chaque idée différente. Oui, c’est ça, saute une ligne…ou deux, même. Voilà ça respire ! »

* récapitulatif écrit du travail journalier comme cela existe encore dans certaines entreprises japonaises

Cette occupation de l’espace rédactionnel de manière si…écartelée ne m’avait jamais sauté aux yeux. Avant d’aller travailler au Japon, j’avais eu une expérience de 6 mois dans une entreprise d’événementiel BtoB française. Je rédigeais certains mails en japonais, mais je me souciais moins de la forme de mon message que de son contenu. Idem pour les mails reçus, je m’intéressais plus à déchiffrer les kanji inconnus plutôt que de prêter attention à l’aération du texte.

Les Japonais rédigent souvent à la manière d’un sonnet !

Comme vous le savez (ou pas), la langue japonaise ne nécessite pas d’espace entre les mots. Ils sont tous groupés les uns aux autres; ce qui permet le repérage aisé des mots est l’astucieuse imbrication des caractères chinois (kanji) avec les autres alphabets (hiragana, katakana). Mais à l’inverse du français, où un paragraphe peut faire un gros pavé, lorsque quelqu’un poste en japonais, il aura tendance à scinder les phrases en les faisant passer à la ligne, il créera souvent des paragraphes très courts, 3-4 lignes, un peu à la façon d’un sonnet. Comme si les idées japonaises ne prenaient réellement vie que sous forme de strophes où les enjambements sont autorisés.

Cette manière d’aérer son récit est le must du must. Tous, sur les réseaux, ne respectent pas forcément les règles mais dans les échanges professionnels c’est la règle d’or ! Jetez un œil aux mails rédigés par les Japonais, l’air y circule beaucoup mieux qu’en France.

Depuis mon passage au Japon, j’adopte un style un peu hybride, plus aéré qu’avant mais toujours pas aussi stylé qu’un sonnet japonais. Et le plus drôle dans cette histoire c’est que je me fais parfois reprendre par les anglophones lorsque j’entame un message avec un saut de ligne entre la civilité et le début du corps de mail. Les différences culturelles se cachent parfois dans l’espace vide situé entre deux paragraphes.

Cachez cette virgule que je ne saurais voir…

Lorsque j’écrivais mes premiers mails en japonais, j’accolais systématiquement une virgule après le nom de l’interlocuteur.

Cher M. Hamaya,

donnait :

羽山様、

Je trouvais évident de mettre une virgule, comme l’exige ma langue maternelle, avant de commencer abruptement mon introduction.

Après quelques envois, mon chef de l’époque me dit, gêné.

« Liza, pourquoi tu mets des virgules après le nom ? Iranai yo**»

« Euh….. »

**on n’en a pas besoin.

J’avais déjà reçu et lu de nombreux emails en japonais, mais jamais mon œil ne s’était arrêté sur cette différence minime (croyais-je naïvement) et pourtant essentielle. C’est fou comme notre propre bain culturel peut parfois nous rendre aveugle à des différences bien notables.

Si cette virgule agressait visuellement mon chef, c’est qu’elle avait plus de pouvoirs que je ne voulais bien lui accorder. Et je l’ai compris au plus profond de mon âme une fois qu’elle était partie.

Car oui, depuis cette mise en garde, je supprime la virgule quand je m’adresse à des Japonais dans leur langue. Mais cela me coûte émotionnellement. C’est comme sauter dans le grand bain sans avoir ajusté mon bonnet et mes lunettes de plongée. Oui, même si je sais qu’en japonais elle est inutile, superflue, non désirée, dégommer cette virgule me serre le cœur… J’ai beau être franco-américaine parlant le japonais, ma rédaction, elle, restera à jamais adepte de virgules après le nom, de saut de lignes entre paragraphes et de gros pavés indigestes. Thèse-antithèse-synthèse, thèse-antithèse-synthèse, thèse-antithèse-synthèse…Voilà ce qui a bercé mes jeunes années.